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4 octobre 2009

Chapitre III

 

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 Robin crapahutait dans tout son studio. L’endroit avait été lessivé, rangé, organisé, déménagé, décoré, modifié, et ce, en l’espace d’une journée. Lou l’avait bien évidemment aidé. Malgré la petite surface, l’endroit possédait un certain charme. Les murs, peints en jaune pâle et parsemés d’affiches de films, encadraient l’intérieur, composé essentiellement d’une table basse, qui faisait office de table à manger, d’un canapé lit, d’une commode posée dans un coin, sur laquelle reposaient ustensiles de cuisine, et d’une guitare. Une sensation de sérénité et de bien être s’en dégageait. Le jeune s’avouait volontiers fier de ce que son appartement était devenu si rapidement. Jamais il ne remercierait suffisamment sa petite Lou pour son aide précieuse. Mais pour l’heure, ce qui l’occupait le plus, ne concernait pas la jeune rousse. Il s’inquiétait bien davantage sur le plat à servir pour le soir ! Car il accueillerait une invité de taille : mademoiselle Ruth Let. Ses mains n’étaient pas encore moites, ce qui le surprit. Il pouvait bien avoir vingt sept ans, il n’en restait pas moins un grand enfant.

Après longue réflexion, il se décida pour des spaghettis. Rien de plus romantique et pourtant simple que des spaghettis ! Son illumination le ravit, et il s’attela à la préparation du met. Soudain, il se frappa le front. «  Mince ! Si elle était végétarienne ! », se lamenta-t-il. Heureusement pour lui, la viande n’avait pas été touchée. Il la remit dans le congélateur et grogna. Sauce tomate, sans viande, donc. Mieux valait ne pas froisser son invitée. Il souhaitait de tout son cœur que la soirée se déroule bien.

 

Ruth allait bientôt arriver, il n’avait plus qu’à s’habiller. Hors de question qu’il reste dans ses habits de clown. Que penserait-elle d’un adulte qui passait ses journées à faire des galipettes sur les trottoirs quand elle trimait devant un ordinateur jour et nuit, courant après l’inspiration comme une forcenée ? Non. Il devait avoir l’air classe, élégant. Tout ce qu’il n’était pas. Il ne lui vint même pas à l’esprit qu’en tant que critique, elle s’était renseignée sur lui et savait qu’il gagnait sa vie à force de sourire. Il choisit donc de mettre un jean et une chemise noire. Le noir faisait ressortir ses cheveux clairs, bien qu’il ne l’ait pas fait exprès.

En attendant sa convive, il parcourut ses albums des yeux pour en mettre un dans sa chaîne Hi-fi. Il ne mit pas longtemps avant d’en prendre un. Calme, doux, envoûtant. Exactement ce qu’il fallait. Puis il s’assit dans un pouf. Et patienta.

Au bout d’un temps qui lui parut une éternité, on sonna à sa porte. Ruth l’attendait, de l’autre côté.

 

 Elle entendit quelque chose tomber à l’intérieur. Il grommela, elle rit. Robin manqua de lui tomber dessus en ouvrant la porte mais se rattrapa de justesse. Lorsqu’il lui dit bonsoir, elle sentit son souffle chaud sur son visage. Elle lui répéta son bonsoir, sachant que lui aussi recevrait comme une brise, légère et humide. Ils se firent la bise, tels deux personnes civilisées. Et lorsqu’elle franchit le pas de sa porte, le monde au dehors disparut.

 

 Les spaghettis s’avérèrent délicieuses, et Ruth n’était pas végétarienne. Elle n’en voyait pas d’intérêt. Lui se contenta d’hausser les épaules ; Lou ne touchait plus à la viande depuis ses treize ans, il était habitué. Ils discutèrent, refirent le monde, évoquèrent leur souvenir, rirent, se tutoyèrent, burent, changèrent d’albums plus d’une fois, se découvrirent. Se découvrir.

- Dis moi, Ruth, quel est ton plus grand rêve ? Maintenant que je connais ta famille, que je sais à quel point tu aimes ton métier et tout particulièrement ton patron, que je lis dans tes pupilles toutes les joies de ton enfance, j’aimerai savoir. Les rêves, c’est tellement dans une vie. Tu sais, je pense que les espoirs, accompagnés de désillusions ou non, correspondent aux plans d’une maison qui ne s’effondrera jamais. Ils forment un être humain. Ne ris pas, ce n’est pas l’alcool qui me fait dire de telles bêtises ! Alors ?

Ruth a les joues rouges à cause de la chaleur qu’il fait dans la pièce. Ses cheveux chahutent sur ses épaules dénudées. Robin peut voir le bleu qu’elle s’est fait en se cognant contre une porte. A ses yeux perle encore une larme de leur précédent fou rire. Elle secoue la tête, hausse les épaules et lui répond.

- Je ne suis pas comme toi, désolée. Les rêves représentent une perte de temps. Et c’est vrai, ma vie est moins drôle, moins passionnante, moins ... Vivante que la tienne. Mais elle me va.

Il insiste, n’y croit pas.

- Ne me dis pas que tu n’as pas de rêve !!

Robin la regarde se gratter la tête, faisant ainsi mine de réfléchir. Il se dit qu’elle est belle, bien trop belle pour lui. Qu’elle est aussi sérieuse, bien trop sérieuse pour lui. Puis il repense à son rire et renonce. Elle pourrait avoir tous les défauts de la terre si elle le souhaitait, il ne lui en tiendrait pas rigueur. C’est sa voix, si douce, si franche, qui le ramène à la réalité.

- Bien, si tu insistes. Je dirai que le seul rêve qu’il me reste, c’est un voyage.

- Un voyage ?, répète-t-il, à la fois déçu et surpris.

- Oui, un voyage. Je prendrai un an de vacances, j’enverrai valdinguer ce petit bout du monde pour fouiller le reste.

Elle sourit, rêveuse. Il fait de même, amoureux.

- Et où irais-tu ?

- Où irais-je ?! Où irais-je ? Mais voyons, Robin ! Partout ! Je volerai sur toutes les capitales du monde que j’aurai le temps de voir ! Je m’enfuirai dans les provinces isolées pour mieux respirer ! Je ! Oh ... C’est un rêve, voilà tout. Inutile de s’emporter comme je viens de le faire.

Sa fougue a disparu. Elle s’empourpre légèrement, n’a pas l’habitude de réagir aussi violemment sur un sujet aussi futile. Le saltimbanque trouve ça adorable. Ils parlent encore, encore, et ne voient pas la nuit avancer. Les bougies se sont depuis longtemps éteintes. Un énième CD s’est achevé, et ils restent là, à débattre d’un rien. Les liens se tissent, le fils rouge les a accrochés et ils le savent.

 

 Puis Ruth regarde sa montre et sursaute. « Il est déjà trois heures ! » s’étonne-t-elle. Elle se lève, se dépêche de récupérer son manteau sous les yeux ahuris de Robin. Les nuits blanches, il en est tellement habitué qu’il ne s’en rend plus compte. La jeune femme mène décidemment un train de vie bien différent du sien. Il la regarde qui contourne précautionneusement le coin de table sur lequel il a foncé avant de lui ouvrir la porte, faisant tomber un bout des couverts par la même occasion. Ce petit détail le fait sourire et c’est ce moment que choisit la jeune femme pour se tourner vers lui. Elle comptait s’excuser d’être restée si longtemps mais finalement, le silence l’emporte. Son regard s’attarde sur le sourire rêveur du danseur. A cet instant précis, elle sait qu’il l’a ensorcelée. Et ne compte rien faire pour briser le charme. Il lève les yeux vers elle et ses paupières ne se ferment plus. Elle s’approche de lui. Il se relève. Elle tend la main. Il la prend dans la sienne. Elle fait un pas, encore. Il colle son front au sien. Ils se sourient. C’est Robin qui scellera leurs lèvres. Leur premier baiser a un goût de bonheur. Plus un mot n’est échangé. Les mains ne se lâchent plus, les lèvres se séparent à regret, les sourires demeurent plaqués, la porte s’ouvre, les au revoirs s’éternisent, les baisers recommencent. Et chacun retourne de son côté.

 

 La porte refermée, la nuit reprend le dessus. Mais le monde extérieur ne revient pas tout de suite dans la tête de mademoiselle Let. Maintenant que son cœur est ailleurs, seul son corps la raccroche à la réalité, malgré ses jambes qui lui donnent l’impression de marcher sur des nuages, malgré ses yeux qui la laissent voir le même visage partout, malgré son cou qui ressent la morsure du vent comme celle de baisers, malgré ... Malgré l’amour, qui la fait s’envoler.   

 

Il range, les assiettes sales, les verres pas totalement vides, les couverts pleins de sauce tomate, remets les coussins à leur place, part de changer, et se couche dans son lit trop vide selon lui. Robin se dit qu’il n’y a plus que la chaleur d’une seule personne pour le réchauffer. Ses paupières s’étendent sur ses yeux verts et il la voit. Il admire son sourire pour la énième fois, son corps élancé, ses bras si fins, ses gestes qui respirent la grâce, ses grands yeux gris, ses joues roses, les petites bouclettes de ses mèches brunes. Et l’a fait prisonnier d’une cage d’or sans qu’il ne demande rien. Son état ne l’affole pas, il n’est pas habitué et trouve ça fascinant. Alors Robin laisse faire, repense à tout ce qu’ils se sont dit ce soir, vit toute la soirée en boucle. Il sait qu’elle fait pareil. Sa petite robe aux tons pâles lui allait si bien ! Comment a-t-il résisté à ne pas la serrer dans ses bras plus tôt ? Il existe en ce bas monde des mystères qui demeureront à jamais sans réponse. Celui-là en fait partie. Mais, à présent que le jeune homme est devenu jeune amoureux, il s’en moque. La seule chose qui l’importe, c’est elle. Il veut revoir son sourire, réentendre son rire. Encore, encore ...

Paradose.

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Commentaires
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  • Tu écris et là, juste là, tu te sens en vie. Le souffle, le souffle murmure et les mots se reposent là, ils déchirent, ils tanguent, ils brûlent de passion, de vie ! Ils brûlent d'une vie blanche et profonde. Voyez.
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