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3 février 2009

Chapitre Premier. De Rien, A Quelqu'un.

C’était un enfant, dont la solitude mélancolique effrayait jusque ses parents. Un petit garçon, les cheveux blonds, mi-longs, cachés sous une casquette rouge et vert, les yeux marrons, tristement banale, était appelé Eric, les rares fois où quelqu’un se surprenait à prononcer son prénom. Il aimait balader son regard dans le vague, à un tel point qu’il s’y perdait parfois. Quand les enfants hurlaient de terreur pour une quelconque raison, lui, seul dans un coin, esquissait un petit sourire, fasciné. Car Eric n’aimait qu’une chose, ne vivait que pour elle : la peur. Ainsi ne fit il pas même un haussement de sourcil lorsqu’il me vit. Cela faisait longtemps que je l’observais. Il ressemblait à un adulte, prisonnier dans ce petit corps. Jamais, oh grand jamais, n’ai-je ne serait-ce qu’effleurer l’idée de lui parler. Mais voilà, le sort en décida autrement.




 Il avait sept ans, une chambre aux murs vert pâle, perdu toutes ses dents de lait et, pour une fois, pris une tartine à la confiture de cerises au petit déjeuner. Ce n’était pas un gourmand. Eric passa sa journée à l’école, à travailler discrètement. Ni cancre, ni génie, il suivait le rythme de la classe. Le soir, comme chaque fois je crois, il fit ses devoirs et, lorsqu’il eut fini, il joua. A sa façon. Il ferma les volets, éteignit la lumière et s’assit, dans l’obscurité. Il garda les yeux grands ouverts et chercha à attraper le moindre filet lumineux. Il joua, des heures durant, à confectionner son bouquet de lumière. C’est là, que je fais mon apparition. Avant, je dois me présenter, n’est ce pas ? Bien. Je ne suis rien. Pas même une personne. Pas même un regard, ou un souffle. Les gens me qualifieraient de squelette sans hésiter, mais il n’en est rien. Un squelette appartenait à quelqu’un, a un passé, une vie, certes révolue. Moi, je ne suis rien de tout ça. Une erreur, peut-être, voilà tout. Ma matière n’est constituée essentiellement que de plastique, mes journées sont celles d’un banc qu’on a posé sur un trottoir, qui ne sent le poids d’un inconnu sur son dos que si cet inconnu a jugé bon de lui faire partager l’odeur de son fessier. Alors voilà du fond de la classe, je suis tout près de lui. Je l’observe, finis par le connaître par cœur. C’est une étrange sensation que de connaître un inconnu.


Je ne sais pas comment, ni pourquoi notre  rencontre  fut ainsi. Je ne suis rien, ne sais rien. Il était dans sa chambre, ses yeux noisettes brillaient, oserai-je le dire ?, gaiement. Eric me parut heureux, pour la première fois. La seconde fois, l’instant d’après en somme, son sourire s’adressait à moi. Comment m’a-t-il vu, moi, l’Invisible, le Muet, le Rien ? Je l’ignore. Comme si nous nous connaissions depuis toujours, il s’avança vers moi et me déclara simplement : « Aimes-tu le prénom Aishuu ? ». A partir de cet instant où je hochai la tête, je passai du stade de rien à celui de quelqu’un. Et ce, sous le merveilleux nom de Tristesse (1). J’élus domicile dans son placard, ses caleçons faisant office de coussins.

Paradoxalement, alors que je quittais le monde du néant, que la parole me fut offerte, je devins invisible pour les autres. En fait, je fus même remplacé dans la classe, par un Rien identique à ce que j’étais autrefois.

 Un lien invisible se créa entre nous. Eric parlait peu, moi non plus. Pourtant, nous vivions une complicité grandissante au fil des jours. Ce petit garçon solitaire, exclu de tous, s’était trouvé un ami – car oui, j’en étais un – en la personne d’un squelette. Sans doute le fait de m’avoir nommé jouait-il un rôle essentiel dans cette relation. Savoir qu’il me possédait, en quelque sorte. Ce nom, Aishuu, c’était une promesse. Nommer ce qui n’a pas d’identité offre toujours un pouvoir exclusif au nommeur. C’est tant de choses, un nom. Avec lui, même le plus pitoyable des objets prend vie. Une simple peluche ne devient véritablement un cadeau que lorsqu’on peut l’appeler. C’est toujours pareil. Ainsi, il me semble pouvoir affirmer qu’Eric ne vivait pas. Il ne vivait pas, car on ne l’appelait pas. Il savait pertinemment que certains ignoraient son prénom. Tout comme il savait qu’il faisait partie de ces gens qu’on oubliait au fil des ans. Et s’ils ne l’oubliaient pas ; il ne retiendraient qu’une chose de lui : son silence. Le silence glacial sert de rempart aux solitaires, c’est bien connu.

 Le temps s’écoulait inlassablement. Dans sa bulle, il y avait à présent de la place pour moi. Un isolement  à deux vaut mieux qu’à un, j’ose espérer. Il n’était ni heureux, ni malheureux, ne s’intéressait à rien, sauf sa propre frayeur, mangeait de plus en plus de tartines à la confiture de cerises. Certains le croyaient autiste, de par son asociabilité. Mais non. Il avait sa façon de vivre, voilà tout. Nous étions devenus inséparables. Un pacte muet nous réunissait pour de longues années à venir.



( 1 ) : Aishuu signifie Tristesse en japonais.



Paradose.

[*]


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Commentaires
O
J'ai adoré ce premier chapitre.<br /> Ton histoire est très original. Je vais me régaler.
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  • Tu écris et là, juste là, tu te sens en vie. Le souffle, le souffle murmure et les mots se reposent là, ils déchirent, ils tanguent, ils brûlent de passion, de vie ! Ils brûlent d'une vie blanche et profonde. Voyez.
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