Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
.
13 février 2009

Chapitre Quatrième. Un Jour Pour Vivre Une Eternité.


 C’était petit, isolé, un peu sale vu de l’extérieur, très sale vu de l’intérieur. C’était glauque, avec des murs abîmés par le temps. Oh oui, que c’était laid. Pourtant, nous y sommes allés, pourtant nous y avons « mangé ». La nourriture n’avait d’ailleurs rien à voir avec la devanture morbide qu’affichait le petit restaurant. Nous avons pris place, commandé, attendu, vainement parlé, soupiré, jusqu’à ce qu’ils reçoivent leur commande.

 

Elle observa son assiette longtemps, longtemps. Le sourire en coin d’Eric la fit légèrement rougir, réaction pour le moins étonnante de sa part. Il lui intima de manger et, sous ses yeux qui rayonnaient de tendresse, elle ne su que répondre «  merci », comme obligée. Elle n’entama pas son repas pour autant, toujours intriguée par son contenu inconnu. Je fis un geste du menton à Eric pour lui signifier qu’il n’avait qu’à manger, espérant qu’elle l’imite. Et effectivement, elle se mit à reproduire consciencieusement les moindres mouvements du jeune homme. Elle mit la fourchette dans la bouche sans mâcher, ses yeux agrandis devant la surprise. Eric eut beau exagérer ses gestes, elle ne comprit qu’au bout d’un temps, qui nous parut une éternité, qu’elle devait croquer.


Alors qu’elle avalait péniblement sa première bouchée, elle se tourna vers moi, affolée. Je lui souris, essayant ainsi de la rassurer. Elle ne me le rendit pas, ce sourire. Nous l’entendîmes déglutir péniblement. Manger ne semblait pas faire partie de ses prérogatives. Elle soupira de soulagement lorsque son palais retrouva son goût originel. C’est alors qu’eût lieu le drame. Elle posa son regard perçant sur son assiette, un rictus haineux plaqué à ses lèvres. Et, sans prévenir, son corps rejeta le peu de nourriture que contenait son estomac. Nous regardâmes la table, à présent couverte d’un liquide visqueux des plus nauséabonds. L’instant d’après, la bielle femme qui tenait le restaurant déplaçait son énorme ventre pour voir l’origine du raffut. Avec un sourire qui laissait néanmoins paraître sa colère, elle prit la main d’Owari pour la conduire jusqu’aux toilettes, tandis qu’un employé venait nettoyer.

Notre créature se retourna de nouveau vers moi et, pour le première fois, elle me montra à moi, Aishuu, son sentiment imminent : la peur. Les inconnus se mouvaient autour d’elle, qui se sentait si sale, si honteuse. Eric, désemparé, ne dit rien, resta assis à regarder la cacophonie, sans ciller. Je la suivis donc dans les toilettes, gardant ma main sur son épaule alors qu’elle se lavait le visage, où quelques larmes semblaient perler encore. Je n’en étais pas certain, n’osais y croire.


Nous sommes ressortis vite. Eric, ayant repris ses esprits, me volait la place d’honneur pour lui serrer la main, lui adressant quelques coups d’œil inquiets régulièrement.

 

 En rentrant, nous étions tellement sous le choc que nous n’avons pas pris garde et sommes rentrés dans la maison sans plus de cérémonie. Sa mère entendit les voix, les soupirs et vint à leur rencontre. « Tu me présentes ton amie ? », entendit-il dans son dos, alors qu’il gravissait déjà les premières marches de l’escalier. Sa voix paraissait attaquer ses cordes vocales, de par sa rudesse et son autorité. Il sursauta à peine, de façon imperceptible. J’entendis son cœur s’affoler dans sa poitrine mais il récupéra son sang froid en un temps record. Il se retourna, un grand sourire sur ses lèvres. On n’entendit que trop mal son soupir, qui s’apparentait davantage à un excès de colère qu’à un prénom. Sa génitrice lui demanda de répéter, froide comme du marbre. Il s’exécuta. « Owari, dis tu. Japonaise ? », s’étonna la femme, dont les yeux noirs sondaient l’inconnue avec méfiance. Jamais Eric n’avait invité qui que ce soit ; certainement pas une fille. La réponse de son fils, vaguement lointaine, parvint à ses oreilles. Mais déjà elle n’écoutait plus. Elle avait été entraînée contre son gré dans un duel oculaire avec la jeune fille. Ses yeux ne décollaient plus des prunelles azurs, sans réussir à lui extirper la moindre émotion.


C’est son fils qui l’arrache de sa contemplation, en attrapant son invitée par le bras pour l’emporter avec lui dans sa chambre. Ils gravissent les marches quatre à quatre, sous le regard courroucé de sa mère. La femme marche à pas lents vers la cuisine, ses cheveux bruns caressant l’air furtivement.


 Je fermai la porte derrière eux ; ils devaient être seuls un moment, je sentais que mon ami en éprouvait un besoin fou qu’il voulait tant bien que mal me cacher. Il m’adresse un signe de la tête en guise de remerciement. J’attends, assis près de la porte, les « yeux fermés ». J’ignore ce qu’ils se dirent mais ne peux douter du bienfait de cette entrevue sur le lien étrange tissé par eux et eux seuls.


Nous savions que cette situation ne pouvait plus durer, que ces sourires réconfortants deviendraient vite menteurs, au fil des jours. Pourtant, au fond de nous demeurait l’espoir fou que tout s’arrangerait. Ses parents auraient pu l’accepter, auraient pu l’adorer et, qui sait, lui proposer de vivre avec nous, dans la petite chambre près du grenier, si Eric leur avait expliqué les circonstances de son arrivée dans nos vies.

 Mais non, bien sûr que non, il n’en fut rien. Au contraire. Mais notre merveilleuse perspicacité nous permit aussi de comprendre l’inutilité de notre égarement. Ainsi, au lieu de rêvasser, une pointe d’amertume logée au creux des yeux, sur ce que la vie aurait pu être si un simple sourire avait suffit à enchanter le couple, nous préférâmes éduquer Owari. Ou plus précisément, lui enseigner les rudiments de notre langue. Chose qui se révéla étonnamment facile. Eric s’empara d’un dictionnaire pour enfants et le lu, par ordre de ses préférences. Elle retint tout, comprit tout. Et sans aucun doute serions nous encore en train de la féliciter s’il n’y avait pas eu ce coup sur la porte.


 Eric et moi sursautâmes, la belle ne réagit pas. Elle leva ses grands yeux sur l’origine du bruit, s’avérant être l’autorité paternelle de cette maison. Un grand homme robuste aux yeux pareils à deux émeraudes brillantes se tenait à l’entrée de la chambre, toisant tour à tour son fils, puis l’invitée de celui-ci. « Eric, il fait nuit. Raccompagne ton amie et viens dîner, je ne voudrais pas que ses parents s’inquiètent. », déclara-t-il avec un sourire presque aimable, si sa voix n’avait pas trahi son mécontentement.


Fébrile, le jeune homme hocha la tête. Il prit la main de notre princesse et la pria de se lever. Elle obéit et offrit son plus beau visage à celui qui restait droit devant elle, hostile. De sa voix froide, elle lui parle et ce, sans la moindre difficulté. Les mots glissaient et personne n’aurait pu se douter qu’elle venait de les apprendre. Elle se présenta, le remercia de l’avoir hébergée, puis prit congé.

 

 Nous sortîmes et dans ma main gisaient nos achats, tandis que celle d’Eric comprimait les doigts d’Owari. Je me confondais dans les ombres qu’ils jetaient derrière eux, majestueuses et ténébreuses. Nous nous rendîmes à la piscine, sans mot. Les images de la journée tournoyaient en nous dans la noirceur de la nuit. Je ne suis pas sûr qu’ils aient entendu les murmures du vent autour de nous, vu les dessins des nuages ou simplement la lumière des étoiles. Les brumes dansaient autour d’eux et les réverbères se courbaient au passage de notre demoiselle. Puis nous arrivâmes à la nouvelle demeure qui serait aussi la mienne. Eric rentra chez lui, la mort dans l’âme, et j’entendis l’humidité du soir lui lancer des moqueries, foule de remarques sarcastiques dont je semblais être l’unique témoin.

 

 Le silence qui ne nous avait pourtant pas quittés, devint plus fort mais moins pesant. A présent qu’elle savait s’exprimer, plus d’excuse. Mais ni elle ni moi ne semblions aptes à entamer une discussion. Nous avions le temps, seule nous manquait l’envie. Entre deux créatures que le monde lui-même ne comprenait pas, tout semblait relatif. La nuit, nous scrutâmes la lune, sans se rendre compte du temps qui s’écoulait sur nos corps. Nous étions sereins, la brise qui nous berçait anéantit le moindre trépas de l’esprit.


 Au loin, je savais Eric tourmenté. A partir de ce jour, tout voleta en éclat. Les soupirent vinrent remplacer nos sourires et le silence, habituellement compagnon de nos jours, hanta les rares instants où nous nous revoyions. Après l’école, il venait, ses devoirs dans les bras, nous retrouver à la piscine. Owari ne mangeait pas, ne souriait presque pas, ne dormait pas, ne parlait presque pas, ne pleurait pas et ne soupirait presque pas. Pourtant, elle vivait. Avec moi.

Paradose.

[.]

Publicité
Publicité
Commentaires
O
Je viens de finir et j'aime toujours autant. <br /> <br /> Owari est assez étrange. Est-ce que tu finis par dire qui elle est ? Ce qu'elle est ? <br /> <br /> Elle m'intrigue. <br /> <br /> A quand la suite ? Please ?
.
  • Tu écris et là, juste là, tu te sens en vie. Le souffle, le souffle murmure et les mots se reposent là, ils déchirent, ils tanguent, ils brûlent de passion, de vie ! Ils brûlent d'une vie blanche et profonde. Voyez.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Publicité